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11 h 35
Banner terminait son explication quand Wycoff entra dans la salle, flanqué de deux agents des services secrets.
— Riggins, c’est l’heure, dit-il.
Dark fit à peine attention à ce qui se passait. Il ruminait encore ce que Banner venait de leur révéler.
— Bon sang, dit-il, j’ai fouillé chaque pièce, chaque recoin. J’ai même soulevé la moquette…
Riggins s’appuya sur la table lumineuse comme s’il cherchait à l’écraser. Son regard alla de Wycoff à Dark.
— Je n’ai pas cherché à ce que ça se passe comme ça. Il faut que tu me croies.
Mais Dark n’écoutait plus. Il appelait déjà Sibby.
— Tout va bien, chéri, dit-elle. Les policiers sont encore là, ils recueillent la plainte de notre charmant voisin. Et toi ?
— Tout va bien.
— Ne me mens pas, je l’entends dans ta voix. Dis-moi ce qui ne va pas.
L’examen de Banner avait démontré qu’en effet des pierres avaient fracassé les deux vitres. Mais seuls les éclats provenant de celle de Dark présentaient une découpe circulaire prouvant l’utilisation d’un coupe-verre. Il restait des traces de la ventouse qui avait servi à retenir le petit disque de verre. C’est ainsi qu’il était entré.
— Je t’assure, ma chérie, je vais bien, dit Dark. Je te rappelle sous peu. Mais préviens-moi dès que la police s’en va. Il raccrocha et se tourna vers les autres.
Le délai s’était presque écoulé : Nellis et McGuire attendaient dans le couloir et étaient prêts. Fin prêts. Des capuchons dans leurs poches, avec des menottes et des seringues. La planque et l’endroit où ils se débarrasseraient du corps n’étaient pas loin.
Les ordres avaient un peu changé quelques minutes avant l’arrivée de Wycoff. Quand le ministre aurait lancé son ultimatum, la décision reviendrait à Dark.
Un « oui » décréterait la fin de leur mission : Nellis et McGuire recevraient une autre affectation après une brève permission. Nellis se demandait distraitement si ce job l’amènerait à rester à Los Angeles. Il n’avait pas envie de prendre l’avion.
Mais un « non » signifierait une double mission. Wycoff avait été clair : il fallait s’occuper de Dark et de Riggins et les emmener à la planque. Riggins n’en reviendrait pas, et Dark aurait à son tour droit à quarante-huit heures de réflexion. Ou peut-être à seulement vingt-quatre. Voire à douze. Wycoff s’impatientait.
Peut-être qu’ils devraient s’emparer également de la femme de Dark, perspective qui ne réjouissait pas trop Nellis. Mais cela faisait partie de son boulot. Il avait connu des agents qui posaient leurs conditions : « ni femmes ni gosses », mais c’était juste parce que c’étaient des mauviettes.
— Riggins, répéta Wycoff en tapotant sa montre.
Riggins jeta un regard furibard à Dark et soupira.
Dark remarqua que la montre était une MTM – un modèle très en vogue chez les marines, sans doute destiné à faire passer Wycoff pour un vrai dur. Dark le connaissait juste assez pour savoir qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un champ de bataille.
La menace était donc bien réelle ; elle venait de très haut, et Wycoff était là pour s’occuper de Riggins puis piquer une colère et essayer de convaincre Dark personnellement.
Dark détestait ce genre de cons. Tous autant qu’ils étaient.
Riggins comprit avec tristesse qu’une fois de plus il avait vu juste.
Même après l’avoir exécuté, ils ne laisseraient pas Dark en paix. La présence de Wycoff en témoignait. Il suffisait que le ministre change d’avis et décide de mettre Dark au pied du mur à son tour. Pourquoi se serait-il gêné ? C’était un pourri-gâté en costard qui avait l’habitude qu’on lui passe tous ses caprices. Du matin au soir.
Wycoff baissa les yeux vers sa montre : plus que quelques minutes. Que Riggins aille se faire voir, il avait eu sa chance. Wycoff se rendit compte qu’il aurait dû mettre la pression directement sur Dark dès le début. Il était hors de question qu’il quitte ce commissariat sans réponse.
Nellis les observait depuis le couloir tout en réfléchissant aux différents scénarios possibles.
S’ils s’échappaient, ce serait Riggins qui prendrait l’initiative, probablement en s’emparant de n’importe quel objet pouvant tenir lieu d’arme dans le labo. Dark le suivrait aussitôt pour le couvrir ; peut-être prendrait-il même le ministre en otage. Ce serait difficile au début, mais facile à arranger. Peut-être qu’il faudrait laisser les seringues et recourir aux pistolets. Peu lui importait, du moment qu’il y aurait de l’action : il commençait à s’ennuyer ferme.
Étant dans un commissariat, il serait difficile de justifier les exécutions, mais après tout Riggins et Dark seraient coupables d’avoir voulu assassiner le ministre de la Défense. La police de Los Angeles n’aurait plus qu’à la fermer.
Nellis sentit l’adrénaline courir dans ses veines. Ça promettait d’être vraiment intéressant.
00:00:03…
00:00:02…
00:00:01…
Dark jeta un coup d’œil à Wycoff.
Il ne lui restait qu’une chose à faire.
— Monsieur le ministre, dit-il, Riggins m’a informé de l’escalade. Je veux vous assurer que vous obtiendrez toute ma coopération sur cette affaire. Je suis…
Son regard et celui de Riggins se croisèrent. Riggins sentit ses épaules libérées de tout le poids du monde. Tacitement, les deux hommes venaient de renouveler un serment de loyauté l’un envers l’autre.
Wycoff sembla abasourdi, comme s’il venait d’avaler de travers. Ses gardes du corps étaient tout aussi stupéfaits. Et, pour le coup, Riggins aussi.
— Hé, Dark, dit-il, tu n’es…
— Nous avons découvert quelque chose chez moi. Voulez-vous y jeter un coup d’œil ?
Il leur expliqua ce que leur examen avait permis de découvrir.
C’était la seule issue logique. Si le gouvernement était prêt à éliminer Riggins, il était évident qu’il ne s’arrêterait pas là. Ils le traqueraient, jour et nuit, s’en prendraient peut-être à Sibby et à sa famille – éplucheraient des années de déclarations fiscales, de dossiers médicaux et personnels, tout ce qui leur tomberait sous la main, du moment que cela leur permettrait d’exercer des pressions et d’anéantir leur existence. Et le pire était que Dark n’aurait plus personne à qui se fier à la DAS.
En vérité, permettre à Riggins de faire son boulot était la seule façon de prendre le contrôle de l’enquête.
Car il était évident que le monstre éprouvait de nouveau de l’intérêt pour lui, et il n’était pas question que Dark le laisse agir sans rien faire.
Et il ne renoncerait pas tant qu’il ne lui aurait pas logé une balle dans le crâne, et cette fois pas dans le simple reflet d’un miroir.
La mission était terminée. Nellis et McGuire retournèrent à leur 4x4. Un petit somme, puis la prochaine mission. Nellis n’aurait jamais avoué, pas même à lui-même, qu’il aurait eu beaucoup de plaisir à planter sa seringue dans le cou de Riggins et à le voir passer l’arme à gauche. Rien que pour lui passer l’envie de vous faire son petit sourire narquois. Il n’aurait plus fait le malin, une fois refroidi. Vraiment, s’en aller maintenant, c’était un peu décevant.
Mais qui sait ? On pourrait bien les rappeler pour revenir faire le ménage un de ces jours.